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Je m’appelle Giada Fettini, je suis italienne et, début 2010, j’ai commencé ma vie de bibliothécaire alors qu’auparavant j’étais dans un autre pays et j’avais un tout autre métier : J’étais photographe mais je faisais aussi des massages shiatsu.
Je suis venue en France pour changer de vie et je me suis intéressée au monde des bibliothèques car j’ai découvert qu’on y pouvait faire mille métiers. Pourquoi formatrice ? Ce n’était pas mon idée au début. Comme tout bibliothécaire, J’ai commencé par le catalogage mais, ensuite, je me suis passionnée pour les services aux publics et c’est là que j’ai cherché à évoluer.  J’ai candidaté pour un poste en CDI (je suis contractuelle) et j’ai travaillé à l’appui à la recherche dans une BU. Je faisais des recherches bibliographiques pour les chercheurs et on m’a proposé d’être formatrice. Je l’ai vu vraiment comme une évolution des informations qu’on donne à la banque d’accueil en SP, ce côté relationnel me plaisait. Au début c’était assez…Comment dire ? J’étais un peu angoissée car je me posais toujours la question de la langue, la question de la prononciation (je n’ai jamais étudié le français). J’ai été formée au français comme pour être formatrice : sur le terrain. Le français, je l’ai étudié comme ça avec les cours du soir de la mairie de Paris et pour les formations, j’ai été formée par mes collègues.

Dès le début vous avez travaillé en BU ?
Non, au début, je travaillais à l’INHA.
Quand je suis venue ici, je me suis demandé quel métier j’allais faire. Je ne voulais pas continuer la photographie mais j’aimais beaucoup le shiatsu. Je voulais en réalité travailler dans le domaine du bien-être mais c’était assez compliqué car je cherchais quelque chose d’un peu plus régulier et de tranquille parce qu’il y avait déjà la crise en Italie, et ces deux métiers-là en tant qu’indépendant étaient assez difficiles.
J’ai commencé à aller dans des bibliothèques municipales parce que je n’avais pas de wi-fi, je n’avais rien et cela me permettait aussi d’étudier le français. Ces bibliothèques, ça m’a vraiment passionné et j’ai commencé à demander des entretiens au personnel qui travaillait là-bas. Je faisais un peu d’exercices de Français et en même temps ça me permet de comprendre ce métier. Il y a même des directrices qui m’ont proposé de faire des entretiens et ça m’a vraiment plus. J’ai passé un entretien pour magasinier sans concours à la BnF. Je ne pensais pas que je le passerai mais ils m’ont dit que mon parcours était très intéressant et que mon niveau de Français allait, mais que le problème c’est que je en connaissais pas du tout l’environnement des bibliothèques. Donc ils m’ont proposé de suivre une formation spécifique à l’université. Je ne pensais pas y arriver parce qu’il y avait un examen à l’entrée, oral et écrit, mais j’ai réussi à le passer. A la fin j’ai eu ce diplôme et j’ai fait des stages au Musée Rodin et aussi à la Bibliothèque Kandinsky. Tout de suite après, je suis allée travailler en BU.
Depuis fin 2019, je travaille à l’Humathèque. Ici, nous avons eu la possibilité de postuler sur une fonction majeure (j’ai choisi formatrice) et une fonction mineure (j’ai choisi les questions juridiques).


Qu’est-ce que la formation pour vous ?
C’est très compliqué. Dans ma vie je cherche toujours des choses sur lesquelles je peux évoluer. Je considère la formation un peu comme j’ai considéré la photographie et aussi le shiatsu. C’est comme un double : on forme les autres pour se former, pour évoluer.
Pour la photographie, on imagine toujours qu’on prend des photos pour faire de belles images mais en même temps quand on regarde cette image, c’est aussi un regard sur soi-même. Et même quand je faisais du shiatsu, c’était pour moi comme faire de la danse. Il fallait bien écouter l’autre pour faire le massage et construire quelque chose ensemble. C’est un peu la même chose : cela me permet de ne pas rester fixée sur un point, c’est toujours tenter de dénouer quelque chose mais en même temps, c’est s’ouvrir à l’autre, se relationner, chercher dans l’autre un peu soi-même, être étonné de soi-même aussi quelquefois. Travailler dans les services aux publics c’est travailler dans du relationnel.

Une technique que vous aimez bien utiliser ?
Pendant longtemps, je n’ai pas pensé « technique ». C’est quand j’ai commencé à travailler à l’Humathèque que j’ai vraiment fait des formations de formateur.
Moi, j’utilisais ce que j’avais appris sur le terrain.  Sur le terrain on te donne un support de formation, on te dit comment animer, la posture qu’il faut assumer mais ce n’est pas de la technique ni un objectif pédagogique donc, pour moi, longtemps la formation s’est résumée à un contenu qu’il fallait transmettre. Depuis, j’ai essayé différentes techniques, j’ai écrit mon scénario, mais j’ai mis peut-être des mots sur certaines d’entre elles mais je ne suis pas très technique. La technique, on la prend pour l’oublier après.  
Je n’aime pas beaucoup penser technique. Ma technique c’est un peu toujours la possibilité de favoriser l’échange et après c’est, par exemple, la méthode découverte. Je pense que je l’ai utilisée d’instinct sans mettre les mots dessus. Après il y a des outils que je ne connaissais pas que je suis en train d’apprendre ; Wooclap, par exemple, que je suis en train d’utiliser donc j’aime bien faire des choses en plus mais …
Il y avait une phrase qui disait « l’instruction c’est quelque chose qui reste quand on a tout oublié ». Pour moi la vraie formation c’est quand on a intégré toutes les techniques et en même temps on les mets en pratique en les oubliant. C’est entrer en relation, c’est modeler en utilisant tout ce qu’on a appris.

Le(s) public(s) préféré(s) ?
J’ai toujours eu des publics à partir du master depuis que je suis formatrice. Je n’ai pas formé de public à partir de la licence. Ce sont des publics assez différents. Je ne peux pas dire que je préfère des publics à d’autres.
Ce que j’aime bien cependant, c’est le public qui a choisi la formation, pas le public qui est obligé de suivre une formation. Un public intéressé et qui participe. C’est vraiment une mauvaise expérience quand je vois un regard vide, quand ils sont là à ne rien avoir à dire, quand ils sont obligés et qu’ils font autre chose alors que tu es là pour les former.

Comment s’est fait le passage à la formation à distance et aimez-vous le distanciel ?
Je suis passée presque tout de suite au distanciel quand je suis arrivée à l’Humathèque.
J’ai eu un moment de choc parce que je suis passée de formations à la FMSH, avec maximum 6 personnes, à l’Humathèque où ma formation était sur un contenu simple mais avec un public de 15 à  20 personnes que je ne connaissais pas du tout et une bibliothèque que je venais d’intégrer et une semaine après:  visio, avec un outil que je ne connaissais pas !
Ensuite, je suis quelqu’un qui apprends beaucoup sur le terrain. J’ écris beaucoup, cahier sur cahier, j’aime entrer dans les détails mais, en même temps, j’aime me débrouiller, je sais être autodidacte. J’aime faire quelque chose de nouveau Mais la visio… je ne sais pas trop.
Je sais qu’on peut faire une bonne formation en distanciel, je me propose moi-même pour faire des formations distancielles car c’est une nécessité.  Je vois les avantages mais j’aime bien le face à face. J’aime aussi ce relationnel physique. Je crois que l’on peut bien lire sur le physique ; je suis attentive à l’écoute physique. J’avais lu, par exemple, un livre d’un bibliothécaire italien qui avait fait une enquête sur l’accueil au public : simplement, quelquefois, arriver à avoir une approche un peu plus physique, même toucher la main d’une personne, on commence à avoir une relation plus intense avec elle. C’est un peu ce côté-là qui me plait.
En plus, la difficulté, ce sont aussi les outils : il faut avoir les bons. Par exemple à l’Humathèque, nous avons utilisé un support où ne voyions même plus la tête des personnes, ça m’a perturbée et j’étais tout le temps en train de demander « est-ce que vous êtes encore là ? Vous avez des questions ? Je vous en supplie, posez-moi des questions ! ». C’est très perturbant.

Le meilleur souvenir et le pire souvenir de formation ?
Peut être que j’ai de la chance, je n’ai pas de souvenir ni trop d’un côté ni trop de l’autre.
Le pire souvenir c’est quand on commence une formation, on est content, on arrive et on se rend compte que les personnes ne sont pas motivées. Elles sont là parce qu’elles doivent y être et donc on n’arrive pas du tout à communiquer. On le voit dès le début et quelque fois, je n’en ai pas le courage, mais j’aimerais m’assoir et commencer à parler d’autre chose pour les motiver.
Le meilleur souvenir c’est peut-être exactement le contraire : les personnes qui sont déjà très motivées qui arrivent et posent des questions même pour lesquelles je n’ai pas forcément de réponse. C’est toujours cette possibilité d’échanger avec des personnes. Quand quelqu’un avait un ennui technique, par exemple, au début ça me posait problème, mais ça m’amuse aussi car je me débrouille. Il m’est arrivé de faire une formation Zotero sans avoir internet et donc je suis arrivée là, 1 seconde de choc, j’ai demandé aux personnes si elles voulaient continuer et ensemble on a trouvé une solution. Ça, ça me motive ! Ce n’est pas un mauvais souvenir en réalité, c’est devenu un bon souvenir.

Quelle(s) formation(s) a (ou ont) été cruciale(s) dans la construction du formateur que vous êtes ?
Je crois que c’est une des premières formations que j’ai animées.
Maintenant je parle plus rapidement mais au début j’avais honte de ma prononciation, honte si je ne trouvais pas les mots et même le contenu me posait un problème parce que je devais bien l’apprendre.  J’aurais voulu une prononciation magnifique, j’aurais voulu aussi être plus confiante en moi-même.
Il y avait aussi la question du temps à respecter. Quand j’ai commencé les formations j’avais mon portable, je regardais l’heure de l’ordinateur et j’apportais des montres ; je les étalais en face de moi parce que j’avais vraiment peur de ça.  Comme je suis très tolérante, j’avais peur aussi de ne pas réussir à gérer les personnes. Est-ce que j’arriverai à un moment à dire « on n’a pas le temps, je n’arriverai pas à répondre à toutes les questions » ? On va me poser une question et moi je n’arriverai pas à répondre. Pour moi, ça c’était un cauchemar. Jusqu’au moment où à la 1ere formation j’ai eu une personne problématique. C’était une chercheuse qui a commencé tout de suite : elle bougeait tout le temps, elle allait se mettre en face de l’écran que je projetais, les autres ne voyaient plus, elle posait des questions et là, ça m’a tellement énervée pour les autres parce qu’ils étaient distraits par son comportement que là j’ai compris que j’étais l’institutrice, celle qui peut prendre la personne et la mettre au coin. A un moment j’ai dit « d’accord, maintenant vous allez arrêter, vous vous mettez à côté de moi, vous allez suivre ». Et j’ai bien géré, ce qui m’a appris qu’à un moment j’arrive à bien encadrer les personnes. J’ai été étonnée par moi-même en réalité. Je ne pensais pas y arriver.

En tant qu’animateur, quel personnage de fiction seriez-vous ?
C’est la question qui me pose toujours un problème. Moi, je voudrais être moi-même Dans tout ce que je fais, je suis à la recherche de moi-même et je ne me suis pas encore trouvée. Mais il faut jouer le jeu alors ce serait Fifi Brindacier .
C’est un personnage qui m’a toujours plus depuis que je suis petite. Il faut toujours penser que l’important c’est d’être une petite fille curieuse. J’aime beaucoup apprendre et faire des formations parce que je suis curieuse. Je voudrais éternellement avoir 7 ans pour réussir à tout apprendre.
Fifi a la capacité d’être elle-même. Elle est authentique, libre d’exprimer toujours ce qu’elle pense. Elle a le courage aussi de se remettre en question et de remettre en question les règles. Les règles, je les remet en question, je discute de la raison pour laquelle elles ont été mises en place et, en faisant tous les raisonnements contraires, alors, je peux les accepter. Je peux dire que je suis très chiante !
Ce que j’aime aussi dans ce personnage, c’est la confiance qu’elle a en elle-même. J’ai toujours des doutes, je dois élargir mon pouvoir dans ce sens-là.
J’aime son courage. Elle est très forte, elle affronte le monde. Elle a réussi à abandonner toutes ses certitudes pour construire quelque chose de nouveau.  Fifi Brindacier est bizarre, elle est très différente mais pas parce qu’elle se sent meilleure ; elle apprend aux autres petits enfants à être différents.
Donc c’est le personnage que je voudrais être comme formatrice : l’imagination, la force d’être libre, l’indépendante et ce côté très bordélique. Le chaos pour moi, c’est la créativité. Tu connais la peur de la feuille blanche ? Et bien moi c’est le contraire tellement c’est rempli !

Le lieu de formation de vos rêves ?
Encore une question qui me pose un problème… dans le sens où je me suis dit que l’on confond toujours le lieu avec l’espace.
L’espace c’est important, le lieu c’est autre chose. C’est un paysage émotif, un paysage culturel donc je pourrais dire « l’hiver, j’aimerais être à la plage ».
J’aime beaucoup la nature, l’espace ouvert, faire des formations dans un espace ouvert mais après les participants ne seraient-ils pas distraits ? En plus c’est MON lieu de rêve et j’aimerais trouver un lieu  où chacun pourrait trouver son lieu de rêve. Donc ce ne serait pas un lieu unique mais des lieux différents qui te feraient sentir bien et surtout un non-lieu, c’est-à-dire un lieu tellement magnifique que les personnes oublient d’être là. C’est un peu ça mon lieu : chacun doit trouver son lieu de rêve.

Si vous aviez des moyens illimités que mettriez-vous en place ?
On pense toujours à de l’argent. Je pourrais acheter des outils mais après ce n’est pas une question d’argent. J’aimerais bien inviter des personnes mais est-ce qu’on a besoin de moyens illimités pour cela ?
Je pense que le vrai moyen illimité ce serait le temps, pour créer des formations, pour pouvoir créer moi-même des outils, pour pouvoir créer une équipe. Par exemple j’ai beaucoup aimé lors des JNF à Marseille l’atelier sur les outils pour chercher  des publications en Open Access. Cet outil a été créé par les bibliothécaires de Liège qui ont travaillé avec des informaticiens et des chercheurs. Ils ont mis 2 ans pour le faire. Créer quelque chose, ça me manque. Les moyens illimités, c’est le temps.


Qu’est-ce que vous faites maintenant que vous ne faisiez pas au début ?
Je mange ! Au départ, je disais à mes collègues « aujourd’hui, je suis en régime formation ! ». J’étais tellement angoissée ; j’aimais bien faire les formations le matin parce qu’après je pouvais manger tranquillement alors que l’après-midi, j’étais dans une telle situation de stress que je ne mangeais pas beaucoup  … Maintenant, je mange tranquillement, je vais à la cantine…

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à la formatrice débutante que vous étiez ?
D’être soi-même et de s’écouter.
J’avais suivi un ingénieur pédagogique en vidéo. Il avait parlé de la méthode de l’incident critique. C’est pouvoir se dire que l’on peut réfléchir sur des formations considérées comme des échecs car c’est quelque chose qui t’apprend, en réalité, et qu’il ne faut pas être de mauvaise humeur au moment où ça se passe, qu’il faut prendre du plaisir. Prendre du plaisir, pour moi, c’est toujours rester à l’écoute.
De ne pas s’oublier malgré la peur des premières formations. Je dis : soyez vous-même.

Un dernier mot ?
J’avais noté une phrase d’un sociologue, je crois que c’est Philippe Perrenoud, qui avait dit : qu’est-ce que c’est apprendre ? C’est désirer, persévérer, construire, interroger et changer. Peut-être que c’est ça pour moi faire des formations : c’est changer. C’est former, donc c’est le changement. C’est le changement des deux côtés : côté formateur et côté apprenant.

Une photo pour symboliser la formation ?
Portrait #6 : Giada Fettini Image_12

(Entretien réalisé le 20 mars 2023)